LES LARMES & LES GRAINES





In english below:

J'ai mal.
Je crois que je me suis pris une balle, là, dans la poitrine, un peu à droite...
C'est la fin : 
Mon sang s'écoule, égrainant lentement le temps qu'il me reste, tel les grains vermeils d'un inexorable sablier...
...J'ai très mal.
Seul au fond de cette tranchée, ma souffrance est la dernière sensation me rappelant que je suis autre chose que cette terre pesante et stérile qui me recouvre. Bientôt je ne ferais plus qu'un avec elle. Peut être, avec mes frères, la rendront nous fertile ?
Pour l'instant je pleure...
...seul, oublié, si loin des miens.
J'aurais tant aimé sentir les bras aimants de ma mère, la main rassurante de mon père, de mes frères, de celle que j'aime...
...Leur dire au revoir, au moins une dernière fois...
Quelque chose hurle à l'intérieur de moi, non seulement à la lune, mais au soleil, aux étoiles...
... à tout ce qui pourrait entendre...
...Mais rien.
Par impossibilité, par dépit, le cri se transforme en de lourdes larmes.
C'est mon dernier soupir : elles coulent, s'enfoncent profondément à la fois dans le sol et quelque part, je l'espère, dans la mémoire de quelqu'un qui entendra...
Tel les perles d'une eau nourricière, elles attendront patiemment les graines des fleurs du souvenir...

...Allongé sur le confortable canapé, je pleure, profondément ému, touché.
J'ouvre les yeux, encore chamboulé, cette séance de rêve éveille m'a bouleversé. 
Comme c'est souvent le cas dans cette pratique, j 'ai tout ressenti :
de la densité de la balle à celle de la tristesse et de son origine.
Je commence également à mieux cerner certaines émotions pesantes et incompréhensibles m'accablant bien souvent à cette période.

Cette séance m'amène à interroger mon arbre généalogique. J'y retrouverais Louis : un frère de mon grand père paternel, mort dans les tranchées et n'ayant eu ni hommages ni sépulture...
Sur le site mémoire des hommes(1), je retrouve le régiment dans lequel il fut affecté, ainsi que le lieu et la date de son décès. A ma grande surprise, l'anniversaire de cette dernière est dans une semaine.
Guidé par mon intuition, je me décide donc à effectuer un pèlerinage à Cheppy dans la Meuse via Verdun ; soit environ quatre heures de routes de chez moi.

A Verdun, je me rendrai à l'office du tourisme, puis au mémorial.
J'y trouverais des informations sur le quatrième régiment d'infanterie et sur ses pérégrinations.
La date me permettra de suivre et de retrouver le lieu et les conditions de disparition de Louis : La butte du Vauquois (2).
Avant de m'y rendre je passerais dans une graineterie pour y acheter quelques paquets de graines de myosotis.
Pourquoi des myosotis ?
Simplement parce que le rêve m' évoquait mystérieusement parmi la foultitude de fleurs existantes très clairement celle-ci et pas une autre : 
Ces humbles graines étaient la réponse évidente qu'attendaient patiemment les perles de larmes enfouies dans la terre.
La beauté naturelle, ayant le pouvoir grâce au geste amoureux d'un jardinier consciencieux, de transformer une souffrance indicible en un quelque chose de beau, antithèse même de l'horreur ineffable.
Le langage des fleurs m'apprendra également, non sans stupeur, ce qu'exprime traditionnellement cette petite herbacée : « ne m'oublie pas ! »

Le ciel tantôt couvert, tantôt ensoleillé donnait à la plaine une ambiance surréaliste. Les contrastes semblaient offrir à mon ressenti et mes émotions le costume le plus saillant qui soit.
Après être passé par Cheppy, j'arrivai à la fameuse butte du Vauquois.
Je pus fouler la même terre que Louis, voir par mes yeux les vestiges des même paysage et l'imaginer là, revivant intérieurement le théâtre abominable. 
Il n'avait que vingt quatre ans. Il avait quitté ses vertes collines du Morvan pour se retrouver projeté sur ce grotesque et aride monticule, cette taupinière sans nom, qui par dessus et par dessous fut retournée à coup d'explosif durant tout le temps de ce conflit aussi cruel qu'imbécile.

Là je trouvai un guide, un gardien du souvenir, qui eu la gentillesse malgré la fermeture du site de me faire visiter son modeste musée. 
Il me montra une petite vitrine, à peine grande comme deux armoires à pharmacie et m'expliqua, non sans émotions, qu'elle contenait à elle seule la totalité des vestiges du village de près de deux cents âmes qui jadis la surplombait de son clocher...
Il me permit ensuite de consulter les registres, m'éclairant sur ce qu'avait pus vivre Louis et son régiment...
Je remercie chaleureusement cet homme.

J'empruntais ensuite les chemins, les tunnels et les cicatrices à la découverte de ce lieu. La terre était si marquée qu'on pouvait presque entendre les explosions, sentir la poudre et la mitraille. 
Qu'ils aient été français ou allemand, des milliers de gamins, y sont restés.
On y découvre encore aujourd'hui des corps chaque année !
Et moi gracié spectateur, je me tiens là, seul, debout, avec dans le cœur un mélange entre la tristesse respectueuse et la joie d'honorer leur mémoire.
Avec dans la main des graines de fleurs que je sème au grès des vents, avec le secret et poétique espoir qu'elles transforment ces tranchées hostiles en de paisibles sépultures.
Je saluerais Louis, quelques unes de mes larmes se joindront aux siennes, puis je rentrerais chez moi, plus léger, avec l'impression d'avoir réaliser quelque chose d'à la fois infime et important. 


C'était un vendredi, le lendemain ayant des rendez-vous, je me rendis à Paris. 
Durant ma pause déjeuner, comme je le fais parfois, je m'arrête chez un bouquiniste et plonge ma main nonchalamment dans un bac de livres exposés sur le trottoir ; J'en ressors un vieux bouquin, à la couverture un peu usée, son titre : 
« Nous autres à Vauquois » !(3)
Les myosotis n'avaient pas attendus le printemps pour fleurir !
Par son œuvre, André Pézard décrira l'indicible.
Je tenais là dans ma main, noircis dans ces pages, les mots de quelqu'un ayant vécu et exprimé ce que Louis et tant d'autre n'avaient pu transmettre.
Cet écrivain, avait également quelques années après la guerre traduit et publié dans la Pleiade l'ensemble des œuvres de Dante.
Qui d'autre que lui aurait pu réaliser cette prouesse ; Par son ouverture à l'universalité, elle offrit des graines aux larmes non seulement de Louis, mais à l'humanité toute entière.
Aujourd'hui, lorsque je ferme les yeux et que j'observe mes tranchées intérieures, grâce à lui, grâce à Louis je peu y voir des fleurs.
Si nous pouvons certes garder la mémoire, nous pouvons également lui offrir la capacité d'évoluer.
Garder les graines c'est bien, mais peut être que cet humble histoire nous rappellera que nous avons également la possibilité de les planter et de les arroser. 


image: Photo du film "Cessez le feu" d'Emmanuel Courcol


It hurts.
I think I've been shot, here, in the chest, a little to the right...
This is the end: 
My blood is flowing, slowly ticking away the time I have left, like the ruddy grains of an inexorable hourglass...
...I am in great pain.
Alone at the bottom of this trench, my suffering is the last sensation reminding me that I am something else than this heavy and sterile earth that covers me. Soon I will be one with it. Perhaps, with my brothers, we will make it fertile?
For now I cry...
...alone, forgotten, so far from my own.
I would have liked so much to feel the loving arms of my mother, the reassuring hand of my father, of my brothers, of the one I love...
...to say goodbye to them, at least one last time...
Something is screaming inside me, not only at the moon, but at the sun, the stars...
...to anything that might hear...
...but nothing.
Out of impossibility, out of spite, the cry turns into heavy tears.
This is my last sigh: they sink, sink deep into the ground and somewhere, I hope, into the memory of someone who will hear...
Like pearls in a nourishing water, they will patiently wait for the seeds of the flowers of memory...

...Lying on the comfortable sofa, I cry, deeply moved, touched.
I open my eyes, still shaken up, this waking dream session has upset me. 
As is often the case in this practice, I felt everything:
From the density of the ball to the density of sadness and its origin.
I am also beginning to understand better certain heavy and incomprehensible emotions that often overwhelm me at this time.

This session leads me to question my family tree. I would find Louis there: a brother of my paternal grandfather, who died in the trenches and had neither tributes nor burial...
On the site mémoire des hommes(1), I found the regiment in which he was posted, as well as the place and date of his death. To my great surprise, the latter's birthday is in a week.
Guided by my intuition, I decided to make a pilgrimage to Cheppy in the Meuse via Verdun; about four hours drive from my home.

In Verdun, I would go to the tourist office and then to the memorial.
There I would find information on the 4th Infantry Regiment and its peregrinations.
The date will allow me to follow and find the place and the conditions of Louis' disappearance: the Vauquois hillock (2).
Before going there, I would pass by a grain store to buy a few packets of forget-me-not seeds.
Why forget-me-nots?
Simply because the dream mysteriously evoked this one and not another among the many existing flowers: 
These humble seeds were the obvious answer that the pearls of tears buried in the earth were patiently waiting for.
Natural beauty, with the power of the loving gesture of a conscientious gardener, to transform unspeakable suffering into something beautiful, the very antithesis of ineffable horror.
The language of flowers will also teach me, not without amazement, what this little herbaceous plant traditionally expresses: "don't forget me!

The sometimes overcast, sometimes sunny sky gave the plain a surreal atmosphere. The contrasts seemed to offer my feelings and emotions the most salient costume possible.
After passing through Cheppy, I arrived at the famous butte du Vauquois.
I was able to walk on the same ground as Louis, to see with my own eyes the remains of the same landscape and to imagine him there, reliving inwardly the abominable theatre. 
He was only twenty-four years old. He had left the green hills of the Morvan to find himself projected onto this grotesque and arid mound, this molehill without a name, which was turned over and under with explosives during the entire time of this conflict that was as cruel as it was stupid.

There I found a guide, a keeper of the memory, who was kind enough to show me around his modest museum, despite the closure of the site. 
He showed me a small display case, barely the size of two medicine cabinets, and explained to me, not without emotion, that it contained all the remains of the village of nearly two hundred souls that once towered over it from its bell tower...
He then allowed me to consult the registers, enlightening me on what Louis and his regiment had experienced...
I thank this man warmly.

I then walked along the paths, tunnels and scars to discover this place. The earth was so scarred that you could almost hear the explosions, smell the gunpowder and the shrapnel. 
Whether they were French or German, thousands of kids stayed there.
Bodies are still found there every year!
And I, a pardoned bystander, stand there, alone, with a mixture of respectful sadness and the joy of honouring their memory in my heart.
With seeds of flowers in my hand that I sow in the wind, with the secret and poetic hope that they will transform these hostile trenches into peaceful graves.
I would greet Louis, a few of my tears would join his, and then I would return home, lighter, with the impression of having achieved something both small and important. 


It was a Friday, and the next day I had appointments and went to Paris. 
During my lunch break, as I sometimes do, I stopped at a bookshop and nonchalantly plunged my hand into a bin of books displayed on the pavement; I pulled out an old book, with a slightly worn cover, its title: 
Its title: "Nous autres à Vauquois"(3)
The forget-me-nots had not waited for spring to bloom !
Through his work, André Pézard will describe the unspeakable.
I held in my hand, blackened in these pages, the words of someone who had lived and expressed what Louis and so many others had not been able to transmit.
This writer had also, a few years after the war, translated and published in the Pleiades all the works of Dante.
Who else but him could have achieved this feat; by its openness to universality, it offered seeds for the tears not only of Louis, but of all humanity.
Today, when I close my eyes and look at my inner trenches, thanks to him, thanks to Louis, I can see flowers.
If we can certainly keep the memory, we can also offer it the capacity to evolve.
Keeping the seeds is good, but perhaps this humble story will remind us that we also have the ability to plant and water them.

Laurent Vitureau

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